« Le prix du lait pénalise la viabilité de notre exploitation »
En Gaec à quatre associés, Suzanne et Clément Raymond, François Bonnet et Anthony Bacquié produisent aujourd’hui près de 1,2 million de litres de lait en montagne pour une valorisation qui n’est pas au rendez-vous
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L’innovation et l’investissement caractérisent depuis vingt ans l’évolution du Gaec de L’Hermet-Chausyqui a regroupé deux structures et produit 1,2 Ml avec des prim’holsteins à Ladinhac (Cantal). Malgré une bonne maîtrise des charges de fonctionnement, le résultat financier n’est pas à la hauteur alors que le renouvellement des générations est amorcé. Michel Raymond, retraité depuis juin 2020, et son épouse Suzanne, qui partira à son tour en 2023, dressent le bilan d’une vie professionnelle active.
« Si nous n’avions pas pris certains virages, nous ne serions plus là », affirment les éleveurs, respectivement installés en 1983 et 1990. Leur exploitation de Chausy comptait alors 25 VL pour 160 000 l et un atelier de 80 taurillons. « Entre des ventes de viande à perte à cause de l’ESB et une production laitière bloquée par les quotas, la fin des années 1990 n’était pas florissante ! Il fallait trouver des solutions pour avancer. » Leur voisin, François Bonnet, installé depuis 1990, est en Gaec avec sa mère Colette sur une structure de 55 ha, 50 laitières pour un quota de 330 000 l. « Un trop-plein de travail compliquait ma vie familiale. L’embauche d’un salarié par le groupement d’employeurs ne m’a pas satisfait. Je me posais la question d’arrêter mon métier », explique François Bonnet.
« Être 4 associés a amélioré notre qualité de vie ! »
« En regroupant nos deux exploitations en 2000, nous avons pris un nouveau départ salutaire ! Le fait d’être à 4 associés a créé une dynamique et une sécurité sur un plan moral et dans nos prises de décision. Prendre un week-end sur deux et une semaine de vacances l’esprit tranquille change totalement la qualité de vie ! »
L’exploitation compte dès lors 100 ha de SAU et 80 VL pour une production de 460 000 l. Le bâtiment existant est rallongé pour créer 30 logettes supplémentaires sur caillebotis et du stockage, la salle de traite en 2 x 5 postes est remplacée par une traite par l’arrière en 2 x 8. « Nous avons fait une économie d’échelle appréciable et bien rationalisé notre travail. » Le virage suivant est pris en 2005 avec le départ à la retraite de Colette Bonnet et l’installation de Clément Raymond, le fils de Michel et Suzanne. Les surfaces et la production laitière augmentent régulièrement pour atteindre 115 ha et 800 000 l de lait.
En 2010, alors que le renouvellement de la mélangeuse se profile, les associés, déjà impliqués dans plusieurs Cuma, adhèrent à la Cuma du Temps libre qui assure une distribution quotidienne de la ration chez 23 autres éleveurs. Objectif : réduire les coûts de mécanisation. « La prestation chauffeur + mélangeuse automotrice nous revient à 18 €/1 000 l alors que le coût est évalué à 23 € avec un équipement personnel. Nous ne regrettons pas. »
Trente-cinq hectares repris en 2015 sécurisent le système fourrager. Un nouveau cap d’envergure est franchi en 2016 avec une mise aux normes du bâtiment et l’installation de 2 stalles de robots pour 400 000 €, dont 100 000 € d’aides.
« Le robot de traite apporte du confort à l’éleveur et à l’animal »
« La robotisation nous a fait gagner deux heures de traite matin et soir à 2 personnes. Les vaches, moins bousculées, ont exprimé leur bien-être avec 1 500 l de lait supplémentaires par animal. Nous avons aussi amélioré la santé de la mamelle et réduit les frais vétérinaires. Le robot a permis une meilleure valorisation du potentiel génétique », précise Clément Raymond. La ration hivernale est composée de 25 kg d’ensilage d’herbe (60 % de méteil, 40 % de RG italien + trèfle) et 25 kg d’ensilage de maïs, 2 kg de céréales et 1 kg de concentré azoté. Le concentré VL distribué au Dac du robot est acheté à la coopérative avec un système d’échanges des céréales produites sur l’exploitation. Les vaches sortent au pâturage de mars en juin, la ration complète est alors divisée par deux. Le coût alimentaire est de 100 €/1000 l avec 65 à 70 €/1000 l de concentrés. Les vaches ont atteint un niveau élevé de 11 500 l sans pour autant nuire à la qualité du lait. Le travail mené a payé, le troupeau tourne aujourd’hui à une moyenne de 870 kg de matière utile, avec un classement régulier en A pour les germes butyriques et A + pour les cellules. Les résultats en reproduction font apparaître un IVV de 409 jours et un taux de réussite en première IA des VL et génisses de 40 %… Un axe de travail pour l’avenir. L’âge au 1er vêlage a été abaissé de trois à deux ans depuis l’an passé. « Nous sommes limités par le nombre de places dans le bâtiment. Mais nous pouvons encore améliorer les performances individuelles.Le travail génétique va porter sur la vitesse detraite, qui est aujourd’hui de 2,8 l/min, la quantité de lait et les aplombs. Nous cogitons en permanence sur l’évolution technique de notre système. Mieux vaudrait arrêter si nous ne pouvions plus innover et investir à bon escient !De toute façon, la conjoncture économique, avec un prix du lait qui ne satisfait pas nos attentes, nous contraint à progresser pour survivre. » Anticiper faisant aussi partie des maîtres mots du Gaec de l’Hermet-Chausy, c’est avec plus d’un an d’avance que les associés ont cherché celui ou celle qui succéderait à Michel. « Le répertoire à l’installation a bien fait son office en nous rapprochant d’Anthony Bacquié, aujourd’hui associé. » Le parcours d’Anthony, arrivé de l’Ariège, a été varié : BTS ACSE en apprentissage, service de remplacement, projet d’installation en Gaec avorté. « S’intégrer dans un Gaec familial me semblait difficile. La visite de celui de L’Hermet-Chausy m’a séduit au point de m’y engager dans un stage de parrainage d’un an », explique le jeune HCF. Il acquiert la part de capital social de Michel pour 63 000 €, financés à 90 % par la DJA et une aide régionale de 5 000 € pour les HCF. Anthony est entré au conseil d’administration des JA et au bureau du Syndicat Prim’Holstein. Passionné de « belles vaches », il a concouru au Sommet de l’élevage et aux Journées laitières de Saint-Mamet (Cantal). Tout aussi passionné par l’agriculture de conservation, il insuffle de nouvelles pratiques culturales afin de préserver les sols et de gagner en autonomie alimentaire, en particulier en matières protéiques. Ses associés adhèrent à ce nouveau défi : 15 ha de maïs seront semés sans labour en 2021, les 25 autres en technique culturale simplifiée. Le semoir de la Cuma a été renouvelé avec l’achat d’un semoir polyvalent. 20 ha de luzerne ont été implantés afin de diminuer les achats de concentrés. Des implantations de méteils ont remplacé le mélange traditionnel ray grass-dactyle. Pour des résultats en MAT atteignant 15 à 15,5 % (contre 12 % en RG-trèfle) et un rendement supérieur à 7 t de MS/ha en première coupe. « Le seul bémol est que les variétés implantées manquent de précocité à notre altitude, ce qui retarde nos semis de maïs. Pour récolter le maïs entre le 15 et le 20 septembre, nous allons choisir un maïs plus précoce. » Cette année, 10 ha ont été récoltés en grains, 7 ha en épi et 23 ha en ensilage classique du « maïs Powercell » (variété Syngenta donnée pour combiner une haute digestibilité des fibres et un bon taux d’amidon). « L’objectif est de passer de 100 €/1000 l de coût alimentaire à 70 € grâce à une plus grande autonomie. » Des projets porteurs d’espoir n’excluant pas des craintes pour l’avenir. « Nous n’avons aucune garantie d’un meilleur prix du lait. Il nous manque 60 € pour parvenir au prix de revient de 439 €/1000 l pour un objectif de rémunération à 2 Smic. Cette année, les charges non compressibles vont flamber. Nous devrions bientôt en savoir plus sur l’application de la loi Égalim 2 par Sodiaal qui achète le lait à Altitude. »
À la recherche d’un nouvel associé
Avec le départ à la retraite en 2023 de Suzanne, les éleveurs ont commencé à rechercher un candidat à l’installation. « Nous avons la chance d’avoir des jeunes passionnés par ce métier dans notre pays. Mais je reste soucieuse quant à leur avenir, précise-t-elle. Comment leur assurer un revenu décent avec un mode de vie “normal” ? Nous avons beaucoup travaillé à l’évolution technique de notre exploitation et à l’amélioration de notre qualité de vie mais nous courons toujours après une aisance financière. Ce n’est pas le prochain résultat comptable qui va me rassurer. »
Monique Roque MarmeysPour accéder à l'ensembles nos offres :